Depuis des années que j’accompagne des gens, je me rend compte combien nous sommes tous en réalité des « gueules cassées ».
Si je me base sur ma propre expérience, je peux voir que beaucoup de mes besoins fondamentaux n’ont pas été remplis, que j’ai dû grandir en me débrouillant tant bien que mal, que pas mal de mes rêves sont restés inaccomplis faute de soutien, ou de temps, ou d’énergie…. ou simplement de confiance! Ça ressemble à de la survie…
Oui, la vie n’est pas « facile »… elle fait souvent mal, parfois très mal!
Le sage débonnaire dirait en souriant : « Super : tu es vivant, profites-en ! Le raclement de ta peau contre le bitume de l’existence ne durera pas si longtemps, tu le regretteras peut-être ensuite. »
Bouddha dirait : « La souffrance naît de la résistance à l’expérience ».
Pourtant, ce n’est pas si simple d’adhérer à une réalité de souffrance… et plus encore de dealer avec les bosses, les fractures, les plaies ouvertes héritées de l’enfance ou des ancêtres.
J’ai des feux contraires en moi, des aspirations à l’amour, à la communauté, mais aussi à la prédation, à la haine. J’ai de la puissance et de la tendresse, de l’altruisme et de l’indifférence. Je peux passer d’un instant à l’autre de l’implacabilité à la gentillesse la plus complète…. et à chaque fois j’y crois, je m’identifie : je pense sincèrement être cela, puis cela….
Est-ce que je peux affirmer me connaître ? Mes systèmes de valeurs, mes émotions, mes pensées sont en réalité fluctuants.
À mon humble point de vue, les voies qui tentent uniquement d’ouvrir notre coeur, de nous rendre meilleurs, plus alignés, plus fraternels sont des voies sans issues car elles reposent sur une négation fondamentale qui oublie que nos colères et nos souffrances, autant que nos joies et nos belles pensées sont énergie.
De mon humble expérience, il n’y a pas d’autre chemin que de se rapprocher le plus possible de ces nombreuses facettes qui nous animent, de les épouser… malgré la constante et subtile tentation de vouloir le faire « pour quelque chose » : pour transformer, pour dissoudre le « mal », pour en faire quelque chose de « productif » ou de « bon »…
Je crois que le seul « travail » que je puisse vraiment faire, le seul réel, n’est pas de me « réparer », mais bien de me connaître pour m’aimer toujours un peu plus avec toutes mes facettes contraires, avec toutes mes imperfections, avec mes grognements et petitesses… à aimer ces personnages multiples que je suis.
Ça prend du temps.
C’est comme ça pour tout le monde… et c’est normal, on y va pas à pas, car oui, c’est la boite de pandore : ce qui oeuvre dans nos inconscients n’est pas « joli » : il suffit de regarder l’état actuel de relation de l’humain avec la planète pour le voir : l’humain est une bête affamée, assoiffée, furieuse, prédatrice, prête à tout prendre pour son propre compte… et ne nous nous leurrons pas : la société est le reflet de ce que nous sommes tous individuellement : il n’y a pas d’un côté les êtres inconscients victimes de leur appétit de consommation effrénée, et de l’autre les êtres conscients qui pratiquent la spiritualité et le développement personnel qui vont sauver le monde en donnant des leçons aux premiers…
Plus j’ouvre la boîte, plus je dois admettre cette terrible réalité : nous sommes tous des dangers potentiels les uns pour les autres. Il ne s’agit donc pas de s’efforcer d’ « ouvrir notre coeur », ou de « faire confiance en notre prochain »… ce serait imprudent.
Et pourtant, il est possible de travailler cette matière-là. Cette matière se travaille dans le corps. Elle est dans le corps. Cette matière fait partie de la vie. Elle semble parfois figée, mais elle est vie, donc toujours prête à se mettre en mouvement, à évoluer, à grandir… dès que je la chevauche vraiment, je suis surpris des retournements qui s’opèrent, de la tendresse qui se révèle dans le dur, de la pierre qui devient terre meuble.
Me retrouver, me réunifier, c’est un peu comme l’expérience que j’ai d’élever mes enfants : il me faut beaucoup de confiance en la vie, avoir une présence indéfectible, être prêt à encaisser les coups, à faire du rodéo, à rire et à pleurer, à tomber… à être présent et contenir sans limiter…
J’expérimente aussi, pour moi-même et les personnes que j’accompagne, que c’est très difficile, voire impossible de faire ce chemin seul… certainement parce que nous sommes par nature des animaux sociaux. Nous avons besoin d’une communauté qui nous soutienne à retrouver la personne étrange que nous sommes. Une communauté sincèrement intéressée à voir émerger la singularité hors normes qui nous habite, qui n’attende pas que l’on devienne quelque chose d’autre, que nous soyons un être parfait.
Nous avons besoin d’un cadre qui nous rassure aussi : un cadre qui assure que la force de nos violences, de nos tristesses, de nos rêves enfouis ne vont pas nous faire du mal, ni à nous ni aux autres…. nous avons besoin d’un cadre qui nous permettent d’avancer pas à pas pour se respecter, respecter les autres, être respectés.
Pour moi, un tel environnement n’existe que dans des cadres de travail sur soi où le corps, et surtout l’attention portée à l’intelligence du corps est au centre… c’est là que je peux me détendre : j’ai confiance dans ce qui vient de mon corps, ça ne m’est pas imposé de dehors… et j’aime voir le corps comme le gardien d’un trésor, un être intelligent qui est notre meilleur allié. Juste en allant vers lui, avec lui, sans chercher à lui faire-faire, sans chercher à le contraindre, en me rappelant sa nature profondément sacrée, interconnectée, les informations émergent dans le bon ordre, en sécurité.
Progressivement, graduellement, je me réapproprie ma nature sauvage, inaliénable. Je réapprends à m’apprécier comme un être blessé et à apprécier ces blessures comme des forces. Je commence à redécouvrir les trésors qui sont intacts en moi, dissimulés depuis longtemps dans les replis de mes manteaux poussiéreux… je commence à voir que mes innocences les plus lumineuses ne sont pas différentes de mes carapaces les plus dures.
Pour nous tous, le but n’est pas de devenir gentils, ou rayonnants, et encore moins lisses!
Peut-être simplement de se retrouver dignes.
Progressivement, il devient possible de vivre en société, en bonne intelligence avec la nature.
L’écoute du corps, le soutien d’une communauté, embrasser notre sauvagerie et notre lumière… devenir humains.
Nicolas BERNARD anime et forme des personnes à l’écoute du corps par la danse libre et l’écoute poétique du corps avec les mains, avec sa femme Anne Ena BERNARD. Ensemble ils ont co-créé les Neuf Souffles, une vision de l’alchimie de l’être qui passe par le corps. Ils proposent chaque année, en plus de stages ponctuels, un Parcours Personnel Soutenu qui permet d’effectuer ce profond travail de réappropriation de soi-même, alternant stages en groupe et suivi individuel.
Plus d’ombre, de la lucidité, de l’acceptation, de la tendresse, de la Vie….
Très touchée par cette écriture…
Merci Nicolas 🙏💗
Paulette
je vous remercie pour ce beau texte travaillé au plus juste des ressentis et des mots, et surtout pour votre témoignage fort d’une expérience personnelle unique avec ses vérités incontournables, sur le chemin de l’homme, et de la nécessaire connaissance de soi.
l’ expérimenter dans un cadre modelé par vos soins rend l’expérience possible et plus douce.
j’ai seulement participé à un week-end à Créon, et cela me suffit pour faire confiance à vos mots.
suis très touchée par la qualité de votre témoignage.
Merci à vous pour cette » Grande Vérité » pleine de Sagesse ! ! !