Il est très excitant d’avoir des perceptions tangibles du monde invisible, de se sentir guidé par des entités supérieures ou d’avoir des révélations puissantes sur l’ordre universel ou la destinée du monde.
Il a été montré que nous sommes tous susceptibles de vivre de telles expériences, en quelque soit notre culture et nos croyances. Pour certains cela a un rapport avec l’éveil… mais quel est vraiment le lien entre un « accomplissement de soi » et ces « ouvertures de perceptions » ?
Cette question nous touche tous, que nous ayons ou non connu ces ouvertures : elle parle en effet du sens de notre vie incarnée.
Durant ce temps (court) où nous avons un corps, qu’avons de mieux à faire ? Nous ouvrir ou gagner en force et en intégrité ?
Ce sont deux chemins très différents. Deux polarités entre lesquelles notre esprit peut se sentir tiraillé. Parfois nous ne choisissons pas : la vie nous plaque au sol, nous obligeant à pétrir la matière… d’autres fois les portes de la perception s’ouvrent d’elles-mêmes.
Qu’est-ce qui est bon ?
Qu’est-ce qui est vrai ?
J’ai eu la chance dans ma jeunesse de chercheur, à une époque où mes perceptions s’ouvraient énormément, de participer à des entretiens avec des schizophrènes.
Ces gens sont fascinants. Ils dégagent une aura et une force qui font paraître les gens normaux très fades. On a envie de les suivre. Leur pouvoir de conviction est bien là.
Pourtant : comment douter qu’une personne qui se prend alternativement pour la femme de Johnny Halliday ou Yitzhak Rabin… soit malade? Derrière le masque de ses convictions se trouve une folie bien réelle.
Il y a peu de différence entre un prophète et un schizophrène.
On ne peut évaluer la véracité de ce que dit une personne ni à son énergie ni à son charisme.
Communiquer avec des guides, des ancêtres, des fraternités invisibles, manipuler des symboles ou percevoir les ténèbres du monde et les exorciser ne veut pas dire que ce soit vrai.
Si une personne de notre connaissance (ou soi-même) est dans cet état, la question de la véracité d’ailleurs est sans intérêt.
Cette personne est-elle équilibrée ?
Prend-elle pour vraies ses visions ?
Il n’y a pas de problème à avoir un lien à l’invisible, bien au contraire : avoir des perceptions élargies est une chose formidable, délicieuse… à condition de ne pas en tirer de conclusions hâtives.
Le souffle de l’inspiration est d’abord poétique.
Nous ne savons rien, même lorsque nos visions ont la force et la consistance du réel.
Nous ne savons pas la réalité profonde qui se cache derrière elles, ni les raisons pour lesquelle elles se manifestent à nous de cette façon : notre cerveau, nos conditionnements, notre culture, mais aussi nos traumatismes et nos manques de stabilité personnels créent ce que nous percevons : nous baignons dans une trame d’information que nous rendons perceptibles en la tissant avec nos repères et attentes inconscients.
Ça ne devrait pas être un problème, puisque ça ne peut pas être autrement : la folie commence lorsque l’humain s’accroche aux branches et cherche des certitudes.
La bascule entre être un fou qui s’accroche à ses visions pour combler ses vides et être un sage qui jouit des flots de la vie sans les retenir est une question d’incarnation.
Il a été en effet montré les individus nés dans des cultures tribales ont très rarement des dérives psychotiques : lorsqu’ils vivent (avec le même taux que chez nous) des états d’ouvertures, cela dure quelques jours, ils trouvent ça super, et retournent facilement à leur quotidien. À l’inverse, les occidentaux ont tendance à créer un délire qui maintient un niveau d’intensité qu’ils n’ont pas au quotidien (délire paranoïaque, mystique, égotique… etc).
Lorsque l’on grandit dans une culture tribale, le corps est contenu, enveloppé, valorisé : on a les pieds sur terre, les repères sont simples.
Lorsque j’étudiais les schizophrènes, j’étais moi-même parcouru de grandes visions, je sentais les énergies des lieux qui me perturbaient, je me croyais élu de Dieu. Grâce à eux, j’ai vu que j’étais proche de la folie et bien loin de mon corps.
Tout mon chemin a été de revenir, et de continuer à revenir dans ce corps.
Aujourd’hui, je ne perçois plus d’entités qui m’assaillent dans la rue, je ne reçois plus de messages de l’invisible sur ma mission de vie, ou de certitude sur l’organisation secrète du monde. J’ai des intuitions et la capacité de me relier lorsque je le décide. Le reste du temps, je suis une personne normale.
Je repense souvent à ces mots d’un disciple français de Taisen Deshimaru qui, venant d’être reconnu comme un maître zen au Japon, disait « maintenant, je m’efforce d’être un être humain, et c’est ce qu’il y a de plus difficile ».
Pourquoi difficile ?
Parce plus nous cheminons, plus nous pouvons réaliser combien notre être est morcelé et combien c’est un long travail, peut-être sans fin, de « revenir à la maison ».
Réunir toutes les parts de soi, les apaiser, les remettre en vie dans notre quotidien est une œuvre beaucoup longue que d’ouvrir nos perceptions. Nous y rencontrons des couches de souffrance dont nous ignorons souvent l’existence. Nous y apprenons que la réalité nous échappe sans cesse et que c’est tant mieux.
Tout cela par contre, indubitablement, se passe dans le corps, notre temple vivant
Nous sommes d’abord des êtres mystérieux, vivant à la lisière du connu et de l’inconnu. C’est là que nait notre poésie. Comme on dit dans le zen : le but est le chemin.
Nicolas BERNARD
auteur du « Corps au Coeur de l’Homme »
co-auteur des « Cartes du Corps »
Ah ! très beau texte, enfin ! ouf ! merci !
Magnifique article…merci
Je suis entièrement d accord avec ce texte sur le fond et en même temps un courant très fort porteur existe sur le monde invisible, sur l ‘éveil, la médiumnité….. etc.
Faut-il aller à contre courant en introduisant un regard plus en lien avec la structure rationnelle de la pensée dont nous sommes imprégnés?
Faut il se laisser porter par la vague tout en gardant un regard vigilant et apporter à l intérieur de cet enseignement, nos expériences?
Pensées à creuser et à développer. Anita
Magnifique ! Merci Nicolas pour ce beau texte de spiritualité incarnée!
Peggy.
Merci pour ce joli fil de terre nous permettant de tenir d’une main légère notre bouquet de ballons gonflés à l’helium sans y être suspendus. Démêler le cousu de fil blanc de l’écheveau sauvage et danser la Terre sous nos pieds .
Merci Nicolas pour ce texte partagé.
Bonjour à vous !
Merciii pour ce texte qui a rEsonné sur mon fil de la spiritualité incarnée .
Si poétique à lire également .
Que du bon !